7 décembre 2023 par Jean Mermoz
Le règne de Louis XI (1461-1483) a fait couler beaucoup d’encre. La foisonnante documentation issue de ses innombrables correspondances a en effet permis aux historiens de produire quantités d’études et d’ouvrages avec un degré de détails très avancé. Problème : Louis XI, par son caractère affable comme par son autorité, par ses talents comme par ses erreurs, par sa dévotion comme par son pragmatisme, a toujours soulevé les sentiments les plus contradictoires parmi ceux qui l’ont approché de son vivant comme après sa mort. Lydwine SCORDIA, dans son ouvrage sur Louis XI (Ellipses, 2015), dépeint remarquablement l’évolution de sa mémoire, siècle après siècle, auteur après auteur.
Dans ce cadre, l’ouvrage d’Amable SABLON DU CORAIL dresse de Louis XI un portrait équilibré, complexe, extirpé des enthousiasmes élogieux d’un Paul MURRAY KENDALL comme des légendes les plus absurdes. Sans mâcher ses mots contre les erreurs (souvent grossières) de Louis XI, SABLON DU CORAIL, armé d’un argumentaire solide, vient questionner les interprétations parfois abusives, parfois complaisantes de l’historiographie à l’égard de ce roi.
Les légendes, noires et blanches, en pâtissent. Ainsi, l’auteur révoque l’idée d’un Louis XI moderne mettant fin au système féodal, d’un « roi bourgeois » négligeant la noblesse au profit des petites gens, d’un enfant délaissé par son père dès son plus jeune âge, d’un génie politique de la première heure, d’un roi préférant à tout prix la paix à la guerre…
Pour l’auteur, Louis XI est, comme chacun de nous, un homme de son temps. Loin d’enterrer « l’archaïsme » médiéval, ce roi s’appuie largement sur le droit féodal pour asseoir sa souveraineté. Certes peu chevaleresque dans son tempérament, Louis XI n’en demeure pas moins un « roi soldat », solidement formé à l’art de commander par une jeunesse façonnée par la guerre, et très attaché à sa réputation de guerrier. Loin d’être un bienfaiteur des « petits » contre les grands, Louis XI n’aspire en réalité qu’à s’entourer des plus compétents et des moins titrés, c’est-à-dire de ceux qui, le servant bien, ne peuvent néanmoins se passer de lui. Il n’en est pas moins habité par les conceptions traditionnelles dissociant la noblesse, dédiée aux affaires politiques, de la bourgeoisie des bonnes villes, cantonnée aux affaires commerciales. De plus, l’engouement continu de certains auteurs pour Louis XI n’aveugle pas Amable SABLON DU CORAIL, qui fait observer que la subtilité politique du roi ne se manifeste pas avant la fin de la guerre du Bien public (1465). Pour l’auteur, Louis XI ne parvient pas à s’incarner véritablement dans la fonction royale avant les années 1465-1470, mais l’exerce avec maestria par la suite. Parce qu’il a fréquenté les meilleurs capitaines de son temps, parce qu’il a vu à l’œuvre un Charles VII des plus habiles ; ce « roi soldat » est pourvu d’un talent indéniable pour manœuvrer le levier politique et le levier militaire au moment propice, face à des adversaires eux aussi très rusés et capables de véritables coups de maîtres.
C’est donc la peinture d’un roi complexe, toujours inquiet mais jamais lâche, que nous présente l’auteur ; d’un prince qui évolue en permanence, qui s’adapte aux nécessités et aux contingences et qui se donne des objectifs ambitieux pour servir son royaume. Parce que le récit d’Amable SABLON DU CORAIL décrit sans ambages les manquements de Louis XI tout en rendant justice à ses dangereux adversaires, il n’en démontre que plus intensément les mérites d’un brillant roi de France.
Guillaume de Murcie